Alexis Toulet
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L'Allemagne gagne sur tous les fronts - Deutschland siegt an alle Fronten. Mais les conséquences en termes de relations entre les peuples européens menacent d'être très graves.
Le marathon de réunions de l'Eurogroupe puis du Conseil européen, 31 heures au total du samedi 11 au lundi 13 juillet, a abouti à un résultat qui se présente comme définitif. Même si la crise grecque connaîtra à coup sûr dans les mois et les années qui viennent de nouveaux rebondissements, il est possible d'ores et déjà de tirer un bilan.
Si on résume le résultat de la séquence février - juillet 2015 du point de vue grec :
- La Grèce doit continuer la stratégie faillie appelée "austérité" c'est-à-dire dévaluation interne et libéralisation, malgré son échec catastrophique des cinq dernières années
- Elle n'a obtenu en échange aucun programme d'investissement significatif - les "35 milliards" déjà cités par Jean-Claude Juncker sont des fonds structurels et autres mesures déjà prévues
- Elle n'a obtenu en échange aucun engagement que ce soit ni en faveur d'une décote ni même en faveur d'une simple restructuration de la dette. La déclaration des créanciers comme quoi une restructuration pourrait être envisagée ultérieurement n'a aucune valeur d'engagement, une telle déclaration avait déjà été faite en 2012 sans être suivie du moindre effet
- Le vote de son peuple a été purement et simplement annulé
- La stratégie d'austérité a été encore durcie, poussée à un extrême pour raison évidemment politique, constituant une véritable punition de la Grèce pour son "mauvais" vote lors du référendum du 5 juillet
Bref, la Grèce est totalement vaincue, l'échec de la tentative de changer la stratégie économique imposée à la Grèce par la Troïka est complet.
Du point de vue allemand maintenant :
- L'Allemagne a évité de faire le moindre geste envers la Grèce, même si une décote sur l'insoutenable dette grecque - d'autant plus démesurée que l'économie grecque a chuté d'un quart sous le choc de la stratégie d'austérité imposée à Athènes depuis cinq ans - aurait coûté à Berlin incomparablement moins que l'abandon par la Grèce de sa créance sur l'Allemagne en 1990, sans parler des créances abandonnées par les autres pays européens au moment de la réunification allemande et pour aider le pays à tourner définitivement la page
- Démonstration a été faite qu'aucun pays ne peut changer la stratégie imposée au niveau européen sous influence directrice allemande. L'assentiment français à cet état de fait a notamment été confirmé - quelles que soient les circonvolutions, nuances et objections, Paris au final suit toujours Berlin, non pour un compromis mais pour un alignement
- Les instruments de pression économique ont démontré leur puissance, BCE en premier lieu, et leur contrôle permet aux Institutions européennes de forcer l'accord de tout gouvernement de l'eurozone. Comme l'a dit François Hollande à l'issue du sommet "Si l'accord n'avait pas été clair, la BCE n'aurait pas pu continuer son activité de liquidité" - c'est-à-dire que l'écroulement du système bancaire grec aurait été parachevé. L'Espagne, le Portugal peuvent trembler. L'Italie elle-même... (et quant à la France ?)
- La voie de la contestation de la stratégie européenne par le biais de la gauche dite "radicale" et pro-européenne a été barrée. Définitivement ? Le résultat électoral de Podemos en Espagne en fin d'année donnera une indication. Mais il pourrait être fort difficile à son leader Pablo Iglesias d'expliquer comment exactement il ferait pour parvenir à un autre résultat que Syriza, c'est-à-dire somme toute une situation encore empirée pour le pays
François Hollande a honteusement échoué à se placer à la hauteur des enjeux. Placé par les circonstances et l'équilibre des rapports de force dans la position d'un pivot, il n'a su jouer que le rôle d'une roue de secours pour la chancelière allemande. L'Histoire sera très dure pour lui, tout comme pour Angela Merkel. Son objectif n'a été que d'assurer la survie de l'euro, sans prendre en compte ni la dignité et la souveraineté d'une autre nation membre en l'occurrence la Grèce, ni le sens commun économique le plus basique car la dette grecque est insoutenable et refuser de le reconnaître n'y changera rien, ni même les conséquences sur l'entente entre nations européennes d'une telle attaque sur l'une d'entre elles.
Il avait pourtant en son pouvoir d'arrêter net le gouvernement allemand. Il lui aurait suffi de prévenir qu'en continuant à attaquer la Grèce, en parachevant la mue de l'Union européenne en instrument de pouvoir pour Berlin et en champ clos d'affrontements plutôt que de coopérations, l'Allemagne ne détruisait pas seulement sa relation avec la Grèce, mais encore avec la France. L'aurait-il fait de façon suffisamment publique qu'il aurait été impossible au gouvernement allemand de négliger un tel avertissement, car il n'aurait pu se justifier en face de la population allemande qui reste en très grande majorité raisonnable, à la différence de son gouvernement.
Pyrrhus est européen - la stratégie du Chêne
Naturellement, il y a des raisons de douter que cette résolution de la crise grecque fasse autre chose que repousser le problème, ou que la victoire allemande soit durable - une victoire qui fait courir de tels risques à l'image internationale d'un pays peut-elle être autre chose qu'une victoire à la Pyrrhus ?
Au plan économique tout d'abord, les difficultés de la Grèce ne vont bien sûr pas s'améliorer - elles empireront au contraire, la même stratégie étant poursuivie voire intensifiée. Il y a donc fort à parier que la Grèce reviendra sur le devant de l'actualité, lorsque son endettement par rapport au PIB aura encore augmenté, rendant nécessaire une nouvelle "aide".
Surtout, barrer la voie à un changement ou même un assouplissement d'une stratégie faillie, et le faire par les moyens qui ont été utilisés, c'est prendre des risques politiques énormes, avant tout de détériorer gravement les relations entre pays européens, alimenter et multiplier les ressentiments en gouvernant par la peur. Ce n'est même pas habile politiquement, démonstration de rigidité plutôt que de force, ce qui pour les partisans du projet européen pourrait déboucher sur un véritable désastre. C'est que la contestation de la politique faillie de l'austérité prend principalement deux formes :
- "Nous avons fait une erreur en mettant en place la monnaie unique et en nous laissant diriger par des institutions non élue. Réparons-la"
Il s'agit essentiellement de souverainisme, souvent quoique pas toujours avec une tonalité de droite, voire dans certains pays d'extrême-droite
- "La stratégie économique européenne doit être au service des peuples, non des seuls riches et capitalistes. Réorientons-la"
Projet de gauche, souvent appelée radicale par ses adversaires quoique il soit plus juste de l'appeler "véritable".
Beaucoup d'hommes politiques peuvent trouver commode d'appeler tout cela populisme et compagnie, de taxer tout contestataire d'irréalisme, d'incompétence et de mensonge. Mais l'artifice politicien ne change pas la réalité que ces deux tendances sont non seulement distinctes, mais concurrentes. Le sens stratégique des européistes partisans de l'austérité, qui vouent au gémonies les contestataires du deuxième groupe pourtant des européistes comme eux et s'attachent depuis l'arrivée au pouvoir de Syriza à démontrer que non, pas la moindre chance pour ce type de contestataires d'obtenir le moindre infléchissement... ce sens stratégique est celui du chêne s'adressant au roseau dans la fable de La Fontaine. Rigidité et refus de plier.
© Inconnu
A s'arc-bouter contre le plus fort vent, est-on sûr de lui résister ?
Bien sûr, fermer la porte aux contestataires européistes, c'est faire le marchepied à ceux des contestataires qui ne le sont pas. Et nous savons tous comment la fable se termine.
La Leçon de Choses - l'Euro à visage découvert
Cet échec de Syriza est très grave du point de vue politique pour Podemos en Espagne, le Front de Gauche en France et les mouvements apparentés dans d'autres pays. Mais pour l'autre groupe de contestataires ! Même Alexis Tsipras, se raccrochant aux branches et essayant de prétendre que le résultat de l'épreuve de force est différent de ce qu'il est, n'a pas été jusqu'à cacher que la Grèce n'est plus souveraine : "Nous continuerons à lutter afin de pouvoir renouer avec la croissance et regagner notre souveraineté perdue".
Ces événements à vrai dire révèlent au grand jour ce qu'est l'euro, non seulement monnaie mais encore stratégie économique invariable quels que soient ses résultats et imposée avec une règle de fer, et ce que l'Union européenne est et demeurera tant que l'euro subsistera, structure hiérarchique imposant brutalement aux petits les intérêts étroits des grands, d'abord et avant tout ceux de l'Allemagne. Toute idée, tout espoir de faire « une autre Europe », de « changer l'Europe », c'est-à-dire de changer et adapter la stratégie économique qui est attachée à l'existence même de l'euro, apparaît maintenant pour ce qu'elle est, une illusion pure et simple.
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Leçon de choses - cruelle mais instructive
Alexis Tsipras - et ici il faut éviter de l'accabler - a cru sincèrement qu'un tel changement était possible. Vu ses efforts constants et décidés, avec ceux de tout le gouvernement Syriza, vu les appuis qu'il a rencontré ou su s'assurer ne serait-ce qu'en faveur d'une décote de la dette publique grecque, soit le FMI, la France, l'Italie et les Etats-Unis - excusez du peu ! - si un tel changement de stratégie économique était moindrement possible, il aurait certainement réussi.
Mais il a échoué. Cet échec est l'annonce de temps encore plus durs pour la Grèce, dont la dépression économique est promise à s'aggraver, combinée à une humiliation constante par la main de fer de la Troïka. Cet échec est aussi une très dure leçon pour qui imaginait pouvoir « changer l'Europe ». Non. Il n'y a que deux options : accepter en l'état l'Union européenne, ou reprendre sa liberté.
Presse anglo-saxonne stupéfiée et atterrée - l'eurozone ne fait pas illusion
La presse anglo-saxonne ne mâche pas ses mots pour décrire l'accord du 13 juillet. L'heure, il est vrai, n'est pas aux politesses, et un point de vue extérieur rend peut-être la situation encore plus claire - et encore plus douloureusement surprenante. Il ne faut pas s'y tromper : de l'extérieur, l'eurozone ne fait absolument pas illusion. Petit florilège très partiel, avec une journaliste du Guardian britannique, un journaliste allemand du Financial Times et un économiste et prix Nobel américain :
Le monde voit ce qui est fait à la Grèce au nom de la stabilité de l'euro.
Il voit une nation dépouillée de sa dignité, de sa souveraineté, de son avenir.
(...) Qui dirige ces banques, et pour le compte de qui ? Les slogans Twitter parlent des trois guerres mondiales : la première avec des fusils, la deuxième avec des tanks et cette troisième avec des banques. Un point de vue extrême ? Eh bien, il y a clairement plus d'une manière de prendre le contrôle d'un pays.
En forçant Alexis Tsipras à une défaite humiliante, les créanciers (...) ont détruit l'eurozone telle que nous la connaissions et démoli l'idée d'union monétaire comme étape vers une union politique démocratique.
Ils sont ainsi revenu aux luttes de pouvoir nationalistes des XIXème et début XXème siècle. Ils ont réduit l'eurozone à un système toxique de taux de change fixes, partageant une monnaie unique, géré dans les intérêts de l'Allemagne, maintenu par la menace d'appauvrissement absolu pour qui défie l'ordre établi. La meilleure chose que l'on puisse dire de ce week-end est l'honnêteté brutale de ceux qui ont perpétré ce changement de régime.
Ceci dépasse la dureté et va jusqu'au pur esprit de vengeance, destruction complète de la souveraineté nationale, et aucun espoir de soulagement (...) une trahison grotesque de tout ce que le projet européen était supposer défendre.
(...) Mais le plus gros des dégâts est déjà fait. Qui fera jamais à nouveau confiance aux bonnes intentions de l'Allemagne après cela ?
(...) Ce que nous avons appris ces deux dernières semaines est qu'être membre de l'eurozone signifie que les créanciers peuvent détruire votre économie si vous faites un pas de côté.
(...) Le projet européen - que j'ai toujours loué et soutenu - vient juste de recevoir une blessure terrible, peut-être fatale. Et quoi que vous puissiez penser de Syriza, ou de la Grèce, ce ne sont pas les Grecs qui ont fait cela.
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