mercredi 10 juin 2015

Expériences de mort imminente : un neurologue belge et son équipe étudient le phénomène depuis 3 ans

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Lumière blanche, tunnel, flottement… Le neurologue belge Steven Laureys et son équipe mènent depuis trois ans une étude sur les visions liées aux expériences de mort imminente. Pour éclairer l’un des plus fascinants mystères du cerveau.
Tout commence en 2012 par une petite annonce peu banale. Un appel à témoins lancé par le neurologue belge de renommée mondiale Steven Laureys et l’équipe qu’il pilote au CHU de Liège, le Coma Science Group : quiconque ayant vécu une expérience de mort imminente (EMI) et souhaite la partager dans le cadre d’une étude scientifique est invité à prendre contact par mail avec l’hôpital (1).



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Depuis quinze ans, ce chercheur clinicien âgé de 46 ans, fin pédagogue et inlassable avocat du don d’organes, a fait des altérations de la conscience chez les patients victimes de graves lésions du cerveau son principal terrain d’investigation. Il a consacré nombre d’articles et de conférences au sujet ainsi qu’aux questions fondamentales de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie. Que venait s’aventurer ce « si brillant cerveau », pour reprendre le titre de son ouvrage paru en janvier dernier (2), sur le terrain glissant de l’EMI ?
Quarante ans après le livre fondateur de l’Américain Raymond Moody (La Vie après la vie), et malgré l’intérêt de spécialistes comme le Dr Sam Parnia, de l’université de New York, l’EMI – en anglais NDE, pour Near Death Experience – continue en effet de diviser la communauté scientifique. Le phénomène, qui mêle science, paranormal et religion, concerne pourtant 10% des survivants à un arrêt cardiaque, selon le Dr Laureys. « Tant pis pour ceux qui considèrent qu’il s’agit de charlatanisme. On disait la même chose de l’hypnose ou du sommeil paradoxal il n’y a pas si longtemps. Le travail du chercheur est de percer le mystère.


Entre trivialité et mysticisme

L’EMI est une réalité physiologique présente dans toutes les cultures. Il existe par ailleurs de trop nombreuses erreurs factuelles dans la littérature sur le sujet, y compris chez certains de mes confrères. Dire par exemple, comme le fait le cardiologue Pim Van Lommel, que la conscience se trouve dans chaque cellule de notre corps, est une contre-vérité choquante. Nous devons faire beaucoup plus, en avançant sans dogme, avec humilité et en suivant une méthodologie rigoureuse », explique le chercheur clinicien.


Selon Steven Laureys, le phénomène concerne 10% des survivants à un arrêt cardiaque.
Sur la trentaine de chercheurs que compte le Coma Science Group, trois doctorants se consacrent exclusivement à l’EMI. Le travail ne manque pas. Depuis 2012, l’hôpital a compilé plus de 300 témoignages, recueillis auprès d’hommes et de femmes de tout âge, de toute croyance et de toute origine sociale. Les « expérienceurs », comme on les appelle, ont d’abord répondu aux 16 demandes du questionnaire Greyson (établi en 1983 par le chercheur américain du même nom), afin de mesurer l’intensité de leur vécu.
Ils ont ensuite raconté, souvent pour la première fois, tant le sujet reste tabou, l’étrange séquence durant laquelle ils se sont trouvés aux portes de la mort. Rédigés au présent et avec le recul des années – entre neuf et vingt-quatre ans se sont déroulés depuis les faits, selon les cas -, ils mêlent observations triviales et envolées quasi mystiques.
« Zut, je n’irai pas au cinéma ce soir », réalise un témoin parvenu dans l’antichambre de la mort, avant de s’étonner : « Je vais parfaitement bien, j’entends tout, je vois tout ce qui se passe, mais ma famille ne m’entend pas, ne me voit pas, m’ignore totalement, comme si je n’existais pas. »
Une sensation de « hors corps »
Plusieurs constantes dans ces récits qui semblent parfois nés de la plume onirique de René Barjavel : les visions d’un tunnel, d’une lumière blanche tantôt aveuglante, tantôt très douce ; les notions d’apesanteur, de chaleur et de bien-être. « Sur les 300 patients, seuls six évoquent une expérience négative. La plupart parlent d’une grande sérénité et ne ressentent plus aucune douleur. Ce qui est plutôt bon signe, sachant que nous allons tous mourir », relève malicieusement Steven Laureys. Une patiente se compare à « une boule de coton ou un nuage ».
Un autre voit son corps prendre la forme d' »une ombre », d’une « mélasse », tandis que son épouse pleure et que les ambulanciers s’agitent autour de lui. Un autre encore se voit flotter « à trois mètres au-dessus du sol » – cette sensation de « hors corps » est citée par 8 patients sur 10 – et parle d’une impression d' »amour inconditionnel », qui « enveloppe tout ». 3 patients sur 10 voient défiler le film de leur vie.
Plusieurs évoquent la rencontre d’un être cher, qu’il s’agisse d’un aïeul décédé, d’un amour perdu, d’une mère partie trop tôt : « Elle était vêtue d’un chemisier blanc et coiffée comme avant son décès […]. Ses deux mains me repoussaient gentiment vers le bas et d’une voix douce […], elle me disait : « Je ne te veux pas près de moi […]
Va les retrouver, ils ont encore besoin de toi? », se souvient une patiente.
Les scénarios, impressionnants par leur précision, varient-ils selon les causes ayant entraîné l’EMI ? « Non », répond catégoriquement le Dr Laureys. « L’étiologie ne joue aucun rôle dans le type de visions perçues, que l’EMI intervienne lors d’un coma, ou, comme dans 20% des cas, à la suite d’un événement qui ne mettait pas le patient en danger de mort. Comme le sommeil, une séance de méditation, voire un orgasme », précise-t-il.
Reste à élucider les causes biologiques du phénomène. Comment le cerveau produit-il ces visions ? Pourquoi une telle similitude dans les témoignages?
Une étude réalisée en 2013 sur des rats par l’université du Michigan (Etats- Unis) ouvre une piste intéressante. Elle démontre que l’activité cérébrale, loin de se tarir entre l’arrêt cardiaque et la mort, connaît des pics d’hyperexcitabilité dans les circuits chargés de la conscience. « Cette étude, très intéressante, rappelle que la dynamique d’un cerveau durant les secondes qui précèdent sa mort est plus complexe qu’on ne le pense. Mais il est difficile d’aller plus loin tant que nous n’aurons pas clairement compris comment le cerveau produit la conscience », explique Steven Laureys.
« La seule preuve d’une vie après la mort, c’est le don d’organes »
La recherche progresse, cependant, se félicite le chercheur, notamment sur la correspondance entre certaines visions et des zones cérébrales précises. « Il arrive que des patients épileptiques ou atteints d’acouphènes (sons parasites) vivent le même genre d’épisodes. Grâce aux travaux menés par le Coma Science Group et à ceux de mes confrères Dirk De Ridder et Olaf Blanke, nous savons désormais que la stimulation du cortex temporo-pariétal droit peut induire la sensation de décorporation, et celle du lobe pariétal gauche, l’impression d’une présence. La notion de bien-être implique le cortex cingulaire antérieur. L’apparition d’un tunnel ou d’une lumière est, quant à elle, liée au dysfonctionnement des régions visuelles dans la région occipitale », précise le neurologue.
Sur la suite du voyage, en revanche, Steven Laureys garde un silence cosmique. « La mort cérébrale reste la mort. La seule preuve d’une vie après elle, c’est le don d’organes », martèle-t-il. Au bout du tunnel, toujours l’inconnu.
(1) Les personnes intéressées peuvent contacter le Coma Science Group à cette adresse mail: coma@ulg.ac.be
(2) Un si brillant cerveau. Les états limites de conscience (Ed. Odile Jacob sciences).

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